
Pourquoi Roland Barthes reste un mystère
La célébration du centenaire de la naissance de Roland Barthes commence par une biographie signée Tiphaine Samoyault. Un livre aussi démesuré que passionnant.
Né le 12 novembre 1915, Roland Barthes aurait eu 100 ans cette année. Une expo, un documentaire, mais aussi des livres participeront de la célébration du centenaire de la naissance d’une des figures intellectuelles majeures du XXe siècle. Parmi eux, l’énorme biographie que lui consacre la romancière et critique Tiphaine Samoyault. “Fondée sur un matériau inédit jamais exploré jusqu’ici (archives, journaux, agendas)” (dixit la quatrième de couverture), elle se veut exhaustive, tant Samoyault s’emploie à dévoiler toutes les facettes de Barthes tout en le transformant, à mesure qu’elle le révèle, en énigme, de façon aussi paradoxale que romanesque – et romanesque, Barthes l’était profondément.
De son enfance à son lien fusionnel avec sa mère, de ses rapports avec Gide, Sartre, Sollers et Foucault à son amour pour Jean-Louis Bouttes, qui lui inspira Fragments d’un discours amoureux (son “best-seller”), du structuralisme à son dernier texte, Vita Nova, Samoyault fouille, enquête, analyse tout le parcours de Barthes dans un va-et-vient constant avec ses textes. Pourtant, elle choisit de commencer son livre par sa mort en 1980, à la suite d’un accident – il fut renversé par une camionnette de blanchisserie alors qu’il traversait la rue – mais surtout à la suite d’une infection nosocomiale. Parce que la mort serait la métaphore du manque ultime.
Pour Samoyault, il y a bel et bien un mystère Barthes :
“L’existence de Barthes cumule toutes les lacunes imaginables qui, toujours, invitent au comblement. Le manque initial : la mort du père ; la parenthèse : le sanatorium ; le caché : l’homosexualité ; le discontinu : l’écriture fragmentaire ; le manque final : l’accident bête. Ces trous, ces carences, appellent le récit, le remplissage, l’explication.”
C’est ce que va s’employer à faire cette biographie, dans une démesure aussi ambitieuse et belle que folle, au risque parfois d’être confuse à force d’interprétations en tous sens et de références superflues, mais qui reste un travail aussi brillant intellectuellement que passionnant à lire.
Certainement pas une biographie à l’américaine, donc, mais un essai en soi, qui convoque la vie de Barthes pour y puiser de quoi revenir sans cesse à l’œuvre, la décrypter pour mieux en saisir le pouls. Car au final, ce Roland Barthes s’impose davantage comme la biographie des textes de Barthes, à travers la volonté, poétique, de rendre tangible, donc compréhensible, ce qui scinde leur corps textuel : le vide, le blanc, que l’auteur a laissés entre chacun des fragments qui composent ses textes.
Toutes les festivités
Expo : Les Ecritures de Roland Barthes du 5 mai au 26 juillet à la BNF, Paris XIIIe. Avec une soirée spéciale, un concert et un cycle cinéma.
Livres: Chantal Thomas, qui fut proche de Barthes et a suivi son séminaire, publiera Pour Roland Barthes (Seuil, le 7 mai) ; Eric Marty signe un album comprenant correspondances et inédits (Seuil, avril), et Philippe Sollers reviendra sur ses liens avec Barthes dans L’Amitié de Roland Barthes (Seuil, septembre). Cet automne, le Seuil rééditera aussi un cours, La Préparation du roman.
Documentaire Roland Barthes (1915-1980) – Le théâtre du langage, écrit par Chantal Thomas et réalisé par Thierry Thomas, produit par Les Films d’Ici pour Arte.