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Notre Père.
Roman.
Hanser Berlin, 2019.
288 p.; Euro 22,70.
ISBN 978-3-446-26259-1.
Angela Lehner
Extrait
«Eva, elle ment toujours.» Cette phrase traverse toute la vie d’Eva Gruber. Elle ment à son psychiatre Korb, elle ment en disant qu’elle connaît le Notre Père par cœur, elle ment sur la raison de son internement en psychiatrie. Mais ce n’est pas tout ce qui cloche chez Eva, comme il apparaît de plus en plus clairement au fil du roman. Les bizarreries de son comportement s’accumulent, présentées de manière laconique, presque cynique, en tout cas sans sentimentalisme larmoyant. Car Eva est surtout en colère.
Elle rencontre par hasard à l’OWS – désignation en argot du Otto-Wagner-Spital – son frère Bernhard, qui ne mange rien. La constellation familiale, problématique du point de vue d’Eva, se révèle peu à peu: la mère estune méchante sorcière qui accapare le frère sans défense, et le père isolé, auquel Eva se sent liée, finit par quitter la famille. Les souvenirs sont de plus en plus nombreux à surgir, mais on ne peut se fier à ceux d’Eva. Sa version des événements coïncide rarement avec celle des personnes qui l’entourent. Passé et présent s’entremêlent dans sa perception, les images d’autrefois se superposent à celles d’aujourd’hui, et inversement, recouvrant ce qui n’est pas tenable pour Eva. L’entrelacement du présent et du souvenir engendre plusieurs éléments énigmatiques laissés à l’imagination du lecteur.
Mais Eva se défend, et pas seulement avec ses faux souvenirs. Elle est agressive. Sa colère va de pair avec un humour lapidaire qui crée un véritable comique de situation. Porté par une tonalité à la fois désinvolte et sereine, son cynisme apparaît vite comme une stratégie de plus pour supporter son entourage, ses souvenirs, et sans doute aussi pour se supporter elle-même.
Dans ce premier roman impressionnant, Angela Lehner accomplit la prouesse de donner au motif apparemment éculé de la famille malheureuse une nouvelle voix marquante et qui ne semble jamais forcée.
Jusqu’à la fin, plusieurs questions sont laissées en suspens quant à ce qui pose problème, ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, ce qui relève d’un souvenir véridique ou fabriqué. Lorsque finalement de véritables souvenirs font irruption, il est trop tard et Eva n’est pas la seule victime.
Résumé de la critique de Johanna Lenhart du 1er avril 2019,
traduit par Barbara Fontaine.
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