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Roman.
München: C. H. Beck Verlag, 2015.
ISBN 978-3-406-67370-2.
Sandra Gugic
Extrait
Ceci est un livre hors du commun. Et pourtant, le microcosme que nous présente la Viennoise Sandra Gugic, née en 1976, au début de son premier roman intitulé Astronauten, ne laisse pas vraiment présager qu’il s’agit là d’un des livres les plus intéressants de ce printemps. Le cadre social est à peine esquissé, l’espace urbain à peine nommé. Et c’est dans ce réseau mouvant de la grande ville qu’évoluent six personnages différents : Zeno, sorte de réincarnation de Huckelberry Finn, qui est manifestement issu de l’immigration et plus précisément d’une famille originaire d’ex-Yougoslavie ; son camarade de classe Darko, dont le père, Alen, chauffeur de taxi qui a abandonné ses études, ne cesse depuis des années de remanier un manuscrit de 136 pages ; le policier Niko, ami d’Alen, marié et père d’un enfant d’un an, mais dont la relation émotionnelle à la mère et à l’enfant est fragile. Il y a aussi Mara, fille d’un couple d’artistes, dont le père, faute de connaître le succès, s’est tiré une balle dans la tête, et dont la mère s’est repliée sur elle-même après quelques expositions prometteuses, vénère un gourou de la télé et finit par s’endormir tous les soirs, ivre, n’importe où dans l’appartement. Et puis Alex, un junkie de bonne famille, qui vit de petits délits.
Le raffinement et la virtuosité de ce roman résident dans le fait que Sandra Gugic – qui a fait des études d’écriture créative à l’Université des Arts appliqués de Vienne puis au Deutsches Literaturinstitut de Leipzig, et a gagné en 2012 un prix au concours berlinois « Open Mike » avec un extrait d’Astronauten – donne tour à tour voix au chapitre à chacun de ses personnages. Et chacun d’eux commence à se raconter, dans des phrases courtes alternant staccato rapide et réflexion songeuse. Leurs pensées et leur discours en cascade, souvent peu réfléchis, nous les rendent proches, très proches. Les mouvements des personnages dans cet espace sans espace se croisent, se superposent, se renvoient, ici de manière précise, là dans un flou pointilliste.
C’est ce tourbillon de la langue qui fait l’originalité de la prose de Sandra Gugic, ainsi que l’art savamment caché du récit intertextuel. Car les exergues de chacune des trois parties, empruntées à Samuel Beckett, William S. Burroughs et à l’auteur dramatique Chris Thorpe, ne sont pas dues au hasard ; le texte est également parsemé d’allusions et de citations déformées dont Gugic ne dénoue les fils qu’à la fin et de manière laconique : une bribe de Jörg Fauser, un soupçon de John Steinbeck ou de Franz Kafka, et même un petit quelque chose du film La Garçonnière de Billy Wilder.
Extrait de la critique d’Alexander Kluy, 12 mars 2015
Traduit par Nathalie Rouanet-Herlt
Texte original : http://www.literaturhaus.at/index.php?id=10661
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