Un poème de Wang Wei sur l’automne

la verdure revient dans la montagne froide
 jour après jour coule lente l’eau d’automne
 canne à la main hors de la porte de branchages
 j’écoute les cris des cigales au vent du crépuscule
 les derniers rayons du couchant illuminent l’embarcadère
  du village s’élève la fumée solitaire
   à nouveau on entend le chant de l’ermite ivre
   il chante comme un fou auprès de cinq saules pleureurs
On peut trouver la calligraphie (en train de se faire) de ce poème ici, c’est fascinant (merci à Olga de cette magique étude):
https://www.youtube.com/watch?v=FAodmcuEuVM

Le pape, Chateaubriand et le chat.

Voici une histoire d’Etat,qui ravira les amoureux de Chateaubriand et des chats.C’est l’histoire vraie du célèbre « Micetto ». Micetto naquit un beau jour de père et mère inconnus, dans la loge de Raphaël, au Vatican.Prédestination? Le minet émut tout le Clergé et jusqu’au Pape Léon XII qui tomba en amour de ce joli petit chat de gouttière ,tigré,véritable don du Ciel.C’est ainsi que Micetto,blotti sous la chasuble du Pape,assistait à toutes les audiences accordées par le Saint-Père aux grands de ce Monde,sans jamais révéler sa présence par des ronronnements indiscrets.Sauf une fois lorsque l’Ambassadeur de France s’étonna d’un petit cri qui ressemblait à un miaulement et qui semblait provenir des ornements pontificaux ;il découvrit le secret du Pape. M.de Chateaubriand,donc,l’Ambassadeur, promit de ne rien révéler et Micetto se partagea dès lors entre ses deux admirateurs . Leon XII sentant sa mort prochaine le confia à Chateaubriand ,et c’est ainsi que Micetto abandonna les fastes et l’encens du Vatican pour la place Denfert -Rochereau. Il suivit Mme de Chateaubriand dans ses oeuvres caritatives et mourut un jour,sans jamais avoir cédé aux objurgations de journalistes suppôts de Satan qui voulaient lui acheter ses Mémoires en échange d’une promesse de Paradis Eternel.

(Merci à Gisèle d’avoir résumé avec panache cette historie que l’on trouve dans les Mémoires d’Outre Tombe de Chateaubriand)

Démocratie et finitude

Notre démocratie est-elle à ce point fragile qu’une partie très minoritaire de notre population (8%), originaire d’une autre culture, la bouscule à ce point ? Oui elle l’est. Et pour d’étonnantes raisons. La démocratie ou la République, peu importe ici, exige de ses citoyens qu’ils soient adultes. Qu’ils affrontent leur destin d’êtres mortels. Car la fragilité de notre système est qu’il ne répond pas aux questions que nous posions enfants et que François Béranger chantait ainsi il y a bien longtemps : « A quoi ça sert de vivre et tout / A quoi ça sert en bref d’être né ». Ces questions trouvent une réponse automatique dans la religion. La démocratie, elle, nous arrange la collectivité, le fameux « vivre ensemble », mais n’est pas là pour habiller le ciel d’une valeur transcendante ; elle dit respect, liberté égalité fraternité ; ce sont des valeurs mais pas des instances qui peuvent être explorées par une théologie quelconque. Quant au reste, semble-t-elle dire, écoutez, vous êtes assez grands pour vous trouver des raisons de vivre, débrouillez-vous. La mort est naturelle et ce n’est pas de mon ressort. Le sens de votre vie trouvez-le si vous pouvez ; moi démocratie je ne suis pas là pour ça, moi je suis là pour vous faciliter la vie avec les autres et donc par-là votre vie au mieux de votre liberté. (D’où la séparation de l’Eglise et de l’Etat, si originale dans notre étrange pays).

Habitués que nous sommes par la publicité, l’informatique et la télé à avoir des réponses à tout, nous oublions que nous sommes des êtres de questions. Pourtant nous avons des écoles qui nous apprennent à nous interroger (culture) et des parents qui à leur manière nos amènent vers l’âge adulte afin qu’ensuite nous puissions agir en toute liberté dans le questionnement. Voilà les principes. Voilà l’idée modeste et ambitieuse à la fois : le mammifère humain met 18 ans à devenir adulte et l’éducation démocratique consiste à maintenir ouvert le compas de l’existence et de la pensée afin que mes choix s’opèrent en toute lucidité, selon mon tempérament. La complexité est notre lot. La perplexité est notre destin. Il n’est aucune réponse aux prétendues grandes questions (qui sont, pour dire le vrai, des questions d’enfant) ; Haroun Tazieff disait avant de mourir en roulant les « r » avec une ferme volupté – lui qui avait exploré les abîmes – : « On est là pour rien ». Il faut l’admettre et tenter l’aventure du bonheur.

A contrario, la religion, elle, d’un coup de baguette magique, peuple le ciel. Elle s’appuie pour ce faire sur les grandes ombres qui peuplèrent notre enfance. Enfant j’étais désarmé, j’avais besoin d’aide et de grands bras me changeaient, me parlaient, m’assuraient de ma fragile petite personne. Les dieux sont dans la nurserie. C’est aux couches que l’enfant s’habille de foi. De cette période j’ai gardé l’illusion que je n’étais jamais seul, que j’étais un roi qu’on dorlotait, que le monde avait un sens affirmé par les deux voix. Or, il n’en a aucun. Et la tâche de l’adulte est de s’y faire, de garder sa dignité sans en rajouter. Il n’y a pas de dieux à voir ? Mais c’est notre chance. Nous allons librement et courageusement, sans béquilles divines, avancer vers la mort. La curiosité, l’enrichissement seront nos vraies valeurs. Nous aurons du bonheur aux plus belles choses du monde (art, pensées, questions, rencontres, amours) ; et pour bien être adultes nous oserons ne plus penser à la mort sur le modèle de Montaigne à la fin de sa vie : « … que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait. » (III, 13). Nous agirons librement sans penser à notre finitude, car il n’y a rien à penser de ce côté-là.

Quant à croire, mon dieu… Jean Pouillon disait : « Croire c’est ne pas croire qu’on croit ». Car si l’on croyait qu’on croit (comme on croit qu’il va pleuvoir) ce ne serait pas une certitude. Croire est une contradiction dans les termes. Ne t’attarde pas à ces billevesées, c’est ton enfance, c’est ta geste naturelle, certes, mais tu es adulte désormais, tu es un être de conscience, avance, n’aie pas peur, ne redoute pas ce que l’on appelle le ciel vide car tu es déjà en train de considérer le ciel d’un point de vue théologique, tant est aisé le retour en arrière, et si tu veux à toutes fins que le ciel soit peuplé prends le point de vue de l’astronome, au moins celui-ci te sera utile à la compréhension rationnelle du monde.

Notre démocratie s’appuie sur l’éducation qui devrait nous préparer à affronter notre destin d’êtres mortels. C’est le décor sur lequel nous pouvons déployer notre liberté. Elle exige ce courage que Kant évoque dans le célèbre : Was ist Aufklärung ?, là également que se déploient les notions de minorité et de majorité (ramenées ici à enfance/adulte). Cela dit, les athées ont tort de se moquer : la religion a son utilité ; elle console, elle berce, elle borde le lit des croyants, elle les dorlote. Pourquoi faudrait-il à tout prix ôter à nos contemporains égarés une once de douce régression ? L’illusion a ses vertus.

Nos législateurs dans leur sagesse ont séparé nettement le religieux du politique. Ce qui fait retour, en ces temps de grave discorde, c’est l’enfance de l’esprit. Il est vrai que la publicité, l’entertainment généralisé, le tout tout de suite de la consommation n’aident pas à penser. Or, il faut méditer. La dictature dispense de penser, c’est son attrait, son maléfice. La dictature dit : c’est simple, donne-toi à moi. La démocratie dit : c’est compliqué, ne te donne qu’à toi-même. La démocratie est effort pour dominer ce « rien n’est jamais acquis » qu’est notre existence quotidienne. Les enfants gâtés exigent une réponse et nous disons : tes mains sont vides, remplis-les de ta richesse et n’attend pas d’un improbable transcendant une aide quelconque. La leçon est rude. C’est ouvert. C’est l’existence à construire. Cela porte un joli nom : Démocratie, et c’est aussi fragile que notre vie exposée au temps et à la finitude.

Goethe et le Faust

Le Faust et Goethe c’est tout un, qui comprend le Faust comprend Goethe. Il souffre dans les pays de langue allemande d’une réputation scolaire qui nuit à sa réception. Il n’y a pas un Faust, mais deux : le Faust I et le Faust II… sans compter le Urfaust, ou Faust primitif, qui est inspiré de Shakespeare et possède une énergie de jeune homme étonnante. Chronologiquement les choses se présentent ainsi : Urfaust vers 1775 Goethe a 25 ans, Faust I ensuite jusqu’en 1808, Faust II jusqu’à la mort du poète en 1832… C’est l’œuvre de toute une vie. Le lire dans la traduction de Nerval (au moins le Faust I) c’est donner toutes ses chances de comprendre le projet fabuleux de cette œuvre protéiforme. Eckermann (le familier du poète) raconte que Goethe travaillait encore dans ses derniers jours à en écrire les fabuleux derniers vers. C’est là où l’on trouve la très belle formule souvent mal comprise :

« L’éternel féminin nous attire vers le haut » (vers 12110 et 12111 ; ils terminent le Faust II).

La traduction du Faust par Gérard de Nerval est pour nous une chance énorme. Le poète français l’a traduit alors qu’il avait vingt ans (ce qui paraît assez incroyable) et le vieux Goethe lui-même confiait plaisamment à Eckermann qu’il préférait lire la version française de Nerval plutôt que la sienne propre (cas unique dans la littérature). Berlioz et Gounod ont élaboré le livret de leurs œuvres sur le Faust I à partir de la version Nerval.

Le Faust est une pièce de théâtre écrite en vers pour la plupart des scènes ; elle demeure de l’avis de tous les metteurs en scène à peu près injouable.

Le Faust I peut se résumer en une formule simple : c’est la tragédie de Marguerite. En réalité, c’est l’histoire du Urfaust, Faust primitif. L’idée du Faust est venu à Goethe à partir de la pièce de Marlowe, mais il a croisé la figure trouble de cet alchimiste avant, étant lui-même un passionné des recherches alchimiques (et chimiques). Le Faust « réel » est un alchimiste du moyen âge qui a recherché le rajeunissement en signant un pacte avec le diable selon la légende (conte populaire allemand). C’est ce que l’on va voir à l’œuvre plus ou moins dans le Faust I.

Au préalable ceci qui paraît capital : Goethe a passé plus de temps – c’est lui qui le dit – à étudier les sciences qu’à lire ou à étudier la littérature. Son esprit encyclopédique a suscité chez ses commentateurs l’idée que Goethe était un homme plus proche des esprits universels de la fin du moyen âge (Paracelse) que des penseurs de son temps. Mais dire cela est déjà réduire sa portée ; Goethe est au courant de tout, il est parfaitement informé de tout. Il a par exemple inventé-découvert un os de la mâchoire inférieure vers 1780 qui porte son nom (aujourd’hui oublié) et qui devait être le chainon manquant entre l’animal et l’homme. Mais il a également étudié les nuages, la gravitation, la météorologie (voir ma traduction du texte de Goethe sur la météorologie, paru dans la NRF), il a été un spécialiste très recherché de l’évolution avec Lamarck (Il défend contre Cuvier les théories de Geoffroy de St Hilaire), il était un géologue passionné, un collectionneur de pièces antiques, de bustes, de statuettes… on n’en finirait pas de décrire le monde de Goethe. Jusqu’à quarante ans il a hésité entre la peinture et la littérature. Il a écrit une théorie des couleurs que Schopenhauer, un parent éloigné, défend encore dans ses dernières années. Sa théorie des couleurs jamais reconnue – une vraie vexation publique – l’a fait souffrir bien davantage que le mauvais accueil parfois de ses pièces ou de certains recueils ou romans.

Cet homme, véritable encyclopédie vivante, ramène forcément à la figure de Faust. Au début du Faust I, le héros il veut se suicider (très beau monologue) ; il a tout étudié et il éprouve le savoir comme superflu ; grave dépression qui motive chez le vieil homme (il renonce au suicide car c’est le jour de Pâques) l’idée d’un pacte avec Méphistophélès, nom du diable de la légende. Il est rajeuni par Méphisto puis fait un pacte qui va courir jusqu’à la toute fin du Faust II… Voici quel est le contenu du pacte : lorsque Faust dira qu’il a connu un moment merveilleux le diable pourra l’emporter aux enfers. La formule est : « Arrête-toi, instant, tu es si beau ! » Si Faust dit cela, il est damné. Il  va chercher le bonheur de toutes les manières. Mais d’abord dans l’amour évidemment ; il rencontre Marguerite, la séduit, elle tombe enceinte, elle tue son enfant ; elle est condamnée à mort (c’était le sort réservé aux femmes qui tuaient leurs nouveaux nés). A la fin du Faust I, il tente de revoir Marguerite en prison à l’aide de la magie de Méphisto mais elle le chasse. Elle est devenue folle de désespoir et Faust doit renoncer à la sauver. Toutes ces actions sont entremêlées d’autres scènes qui donnent une vaste profondeur à la tragédie : scène du pacte évidemment, scène où Faust lit la Bible et change le texte : « Au début était l’action », scène de la taverne etc.

On a même au tout début une scène entre Dieu et Méphisto où des paroles précieuses sont prononcées qui élargissent le propos ; il est question de Faust, et Dieu indique au diable qu’il peut bien tenter de séduire Faust, il n’y parviendra pas et devra reconnaître à la fin qu’il est perdant. Méphisto accepte le pari. Dieu dit : « un homme dans ses plus sombres aspirations est toujours conscient du droit chemin ». C’est à l’occasion de cette confrontation qu’apparaît une notion clef, le « Streben », l’aspiration à quelque chose, notion difficilement traduisible, que Goethe emprunte sans doute à Spinoza et qui est au centre de sa réflexion : il faut que l’homme ne renonce jamais. Il doit toujours « aspirer à », tendre vers quelque chose, avoir un but, un dessein ; il ne doit pas errer dans le vide et renoncer dans un à quoi bon mortifère. Même si « l’homme se trompe aussi longtemps qu’il aspire à quelque chose »(vers clef du Faust), cela n’empêche pas qu’il doit le faire ; il faut agir même si on se trompe. Et Faust va aller d’erreur en erreur mais au bout du compte, il va se sauver en trouvant le bonheur. La tragédie de Marguerite est une affreuse erreur du Faust rajeuni, puis les erreurs vont aller s’accumulant dans le Faust II : il fait fabriquer du papier monnaie à la cour du roi et provoque la banqueroute, il fait construire des digues pour gagner des terres sur la mer mais un raz de marée détruit tout, il fait apparaître Hélène de Troie, a un fils avec elle (un enfant éprouvette), mais l’enfant meurt et Hélène redisparaît etc… le Faust II est une accumulation très actuelle des malheurs causés par les hommes dans la nature, la biologie, l’économie, l’amour, l’esthétique etc… c’est très impressionnant. L’esprit faustien est là : tout ce qu’entreprend l’homme est un échec et pourtant la réussite attend l’homme sur la longue durée. La clef est ici précisément : le mal – Méphisto – est nécessaire à l’homme,  à Faust, pour qu’il agisse, c’est son aiguillon, sinon il se morfond.

La tête tourne à celui qui essaie de synthétiser ces thématiques croisées dont les relations entre l’homme et la nature forment le centre. Goethe par ailleurs  – en dehors de toutes les activités que j’ai décrites –  était le bras droit du Duc de Weimar et il a dû mettre la main à la pâte lorsqu’il s’est agi de changer l’économie du pays, d’améliorer l’arrivée d’eau de la petite ville, de construire tel bâtiment devenu indispensable etc. faits concrets qui sont ainsi évoqués dans le Faust II.

Nous n’avons pas en France l’équivalent d’un écrivain d’une pareille envergure. Il est en outre extrêmement troublant de songer que l’idéal de sérénité de Goethe, son côté jupitérien, l’homme du calme intérieur ait figuré si longtemps l’Allemagne à lui tout seul, alors que pour nous l’Allemagne fut très longtemps le pays des excès, des brutalités inexplicables, et de l’agitation. Faust représente très bien cette polarité : la forme de la pièce (mais est-ce bien une pièce ?) est d’un classicisme shakespearien affirmé, les vers sont admirables d’équilibre et la fin sereine chante littéralement la gloire des « mères » avec un ton d’évidence qui éblouit. Quant à « l’éternel féminin » qui « nous attire vers le haut » disons ceci : Goethe avait une grande méfiance envers les actions des hommes et donnait aux femmes une place première pour tout ce qui est de la vie. Grand lecteur des anciens, il devait penser comme Caton l’ancien : « Si les femmes étaient nos égales, elles nous seraient supérieures ».

Il est inépuisable. Nous le rangeons par commodité dans les romantiques mais il n’en a pas du tout les traits habituels ; il les détestait, affirmant dans ses « Conversations avec Eckermann »  qu’ils étaient des êtres fragiles et malades.

Le maire de Düsseldorf recevait un jour Cocteau et comme il évoquait Goethe, le maire confia au poète français : «  Goethe est si grand qu’on ne voit que ses pieds ».

 

 

 

 

Proust écrit (4)

[J’ai tenté de circonscrire l’écriture à partir de Proust, intrigué surtout par le lieu de cette écriture, recherche qui a produit un texte sans ponctuation véritable, car l’imagination n’a pas de point final. J’ai abouti à quelques définitions rêveries dont je ne livre ici que quelques extraits, ce sont des recherches abstraites (comme on parle de peinture abstraite) guidées par la seule imagination des mots qui s’auto engendrent et semblent ne pas trouver de repos. J’insiste sur la nature du lieu: un ruban, une bande, quelque part entre le conscient et l’inconscient et qui ne cesse de se dérouler, comme la vie au présent.]

ce ruban d’écriture peut finalement être nommé, c’est l’autre nom du présent, que fais-tu présentement, j’écris comme je respire, non pour mentir, diable non, j’écris pour divertir ma psyché qui s’en va au ruisseau, au ruban d’eau courant, charriant ses mots comme d’autres exagèrent, c’est charmant ce courant, ce français courant qui procède âpre et léger, ça racle au fond du lit, le sexe comme un x barré, qui fut autrefois multiplié, ah les enfants, les enfants, mes enfants dont je ne peux me résoudre à penser qu’ils sont mortels comme moi alors qu’ils viennent à peine d’entrer dans la loi, leurs sourires à travers mes propres guenilles, grilles, grilles, je vais revenir au ruisseau, mes amis dit la voix enfin ferme ceci est un lieu, il s’appelle le présent, mais vos tympans doivent frémir d’entendre présent puisqu’il n’est aucun présent, si je le serre comme le sable, il fuit, rire crissant, cela vit de peu le sable poigne, des millièmes de seconde que l’on froisse pour imiter le présent pour lui donner une ombre, un tas de sable à mes pieds projette une ombre, sable, sable, eau qui miroite noire sous la pression éclatante des vaguelettes argentées que le saule, triste sire, parodie en ses feuilles à jamais grises, tain du miroir, mes amis je dis comme les Grecs le proférèrent, le tain du miroir est la marque de Perséphone, pas seulement Narcisse aux yeux velours ocre, le revers du reflet est la mort, on le savait, on sait tout sur tout quand on écrit en ce lieu,

Aux origines du Petit Prince de Saint-Exupéry

Pierre Sudreau(1919-2012), ancien résistant déporté et ministre de la reconstruction du Général de Gaulle, confie à François George en 2003 ( « Sans se départir de soi » éditions Tirésias 2004) une anecdote tirée de ses années d’internat.

« … Mon père était mort(1923), ma mère travaillait, et j’ai été plusieurs années pensionnaire au lycée Hoche de Versailles.

Pendant cette période difficile ma mère m’a offert un des premiers livres de Saint-Exupéry, Vol de Nuit. Ce livre m’a enthousiasmé, alors que j’avais une douzaine d’années, et par l’intermédiaire des éditions Gallimard, je me suis permis d’adresser une lettre à Monsieur Antoine de Saint-Exupéry pour lui dire que son livre m’avait enthousiasmé, qu’il m’avait permis de m’évader, de voyager dans les étoiles et que je voulais être aviateur. Lettre d’un gosse enthousiaste. Ce qui n’était pas prévu c’est que Saint-Exupéry m’a répondu, il m’a envoyé une lettre très gentille. Depuis lors, nous ne nous sommes plus jamais quittés jusqu’à la guerre. Il venait, avec l’autorisation de ma mère, me chercher le jeudi, il m’invitait à déjeuner en me racontant des histoires,  et quel malheur, je n’ai pas gardé les nappes de papier sur lesquelles il dessinait, notamment les prémices du Petit Prince ».

En marge de ce récit Pierre Sudreau note négligemment qu’il avait durant toutes ces années l’habitude de porter une grande écharpe, dont on voudra bien admettre qu’elle était jaune.

 

L’Aisne, destin d’une rivière

Au début, l’Aisne se dirige vers le sud, mouvement naturel du nouveau-né qui tourne son visage vers la lumière. Mais plein sud, ce n’est pas raisonnable, car se laisser éblouir si jeune, c’est mourir à coup sûr. Le ruisseau ne lutte pas contre le feu et sauf le Rhône, flot délirant, tous les grands cours d’eau montent vers le nord : ils tendent les bras vers le ciel, appellent la pluie, ce signe limpide de la correspondance entre la vie des hommes et l‘existence des dieux. L’Aisne sait qu’en remontant la carte sous les nuages, tandis qu’elle décline vers la mer, sa vie est garantie par d’autres lits qui la croiseront dans l’affolement des pentes.

Elle se lance alors vers le nord avec une fougue qui laisse penser que tout est possible. Tant qu’elle n’a pas touché son havre, tant qu’elle n’est pas à la fin de sa vie, il semble difficile de dire si l’on va la nommer « rivière » ou « fleuve ». Certaines langues plus sages ou plus naïves, voulant préserver jusqu’au bout la chance d’une grande destinée, ne tiennent pas compte de cette opposition. L’Aisne peut par exemple se couler entre l’Escaut et la Meuse, il lui suffit de rêver. Elle va être le grand fleuve du nord qui caressera les glaces. Du côté de Sainte-Menehould elle se sent capable de faire lever des villes grasses et des ports élégants. Elle va porter les vins de Bourgogne au plus près des banquises scandinaves, troquer la chanson des blés contre la symphonique présence des eaux, relier les langues latines et germaniques, déjouer les frontières et dire l’évidence : tous les hommes sont embarqués sur le même fleuve du temps, il faut suivre sa pente en suscitant des prairies et en éveillant les oiseaux, saluer les hommes blonds, adoucir les sagas brutales, pour enfin relier la terre noire de France à la mer tendue des fjords.

Or, l’Aisne ne rêve pas longtemps : la terre est contre elle. La volonté ne suffit pas et puisque le calcaire accroche l’eau, l’agrippe, l’attire vers le bas, elle va devoir se résigner. En lutte contre la craie, l’eau ne peut jeter toutes ses forces dans le frayement du flot. Que faire si la glèbe colle, si le sol brûle l’aval, si la loi du pas empiète sur l’envol ? Ainsi, à peine sorti de l’enfance, le cours d’eau s’épuise sur la Champagne pouilleuse et, dès les premiers méandres, l’Aisne devine que son sort va être commun, que jamais elle n’aura le destin fabuleux des fleuves qui anoblissent les plaines.

Il y a Valmy, c’est vrai : le moulin et les hurlements, la liberté et les Prussiens dans la boue, le nouveau et l’ancien. C’est un départ dans l’enthousiasme et l’Aisne sera plus qu’un ruisseau, c’est sûr, mais la gloire d’être davantage qu’une eau sans nom, d’être déjà une cicatrice sur la carte, va se payer à coup de désastres. Ce n’est pas du flot que la célébrité va lui venir mais des morts qu’elle charrie : l’Aisne devient une vallée cent fois franchie par les hommes du froid, cent fois reprise par les Gaulois du cru et où les tueries répètent au monde le nom de la rivière féroce : « Axona !». Ce qui devait relier, ce qui allait être un mythe fécond, devient une frontière, un trait d’amertume qui perce notre mémoire. Au lieu d’être l’eau qui maintient vivace l’illusion des jours, l’Asine est submergée par le choc des corps et le grondement des canons, le ciel qui tremble avec la terre et les mots des morts que le brouillard étouffe dans le petit matin des batailles.

Il y a cependant de superbes répits : en Argonne par exemple la forêt rend à l’Aisne une vigueur médiévale sortie tout droit des chansons de geste. L’Aire, sa sœur jumelle, son affluent majeur, se mêle à la rivière encore jeune et elles s’ébattent ensemble avec une insouciance où tout est confusion, apprentissage : c’est vers Grandpré un unique allegretto où les branches alourdies de pluies et d’oiseaux s’inclinent vers les berges sauvages. C’est alors une seule rivière à mille bras qui frissonne parmi les troncs, longe les églises aux toits bleus et s’enroule autour des monts couchés derrière les maisons blanches.

En pleine joie, la rivière va subir le plus rude coup de sa petite existence. Tout se joue à Vouziers : elle éprouve au sortir de la forêt une fatigue terrible. Il y a encore des saules et des peupliers mais plus loin, à Roche, on entend soudain un enfant qui étouffe des malédictions le long de la rivière. Rimbaud et l’Aisne : à cet instant tous deux cessent de rêver. La présence des arbres amis n’y fait rien, la rivière est adulte, le poète aussi, il faut quitter l’étoile, accepter la réalité, et de même que l’Asine bifurque brutalement vers l’ouest pour rejoindre dieu sait quoi de plus fort qu’elle, de même Rimbaud écrit son dernier texte ici, las de creuser l’esprit et de rêver le sens. C’est l’automne déjà, il est tard, l’occident est là qui tire les hommes avec leurs marchandises et leurs profits, et les voilà qui s’inclinent vers le couchant.

Une fois ce cap passé, on est pour soi seul, on est mortel, c’est-à-dire que vaille que vaille il faut tenter de vivre. L’appel du grand idéal est abandonné au profit de la patience dans le désert. Pour le poète le sable de Harrar ; pour l’Aisne la craie de Rethel. C’est en bas, l’existence pas à pas, dans l’entresol presque vain des gestes de tous les jours. L’Aisne va border soigneusement son lit, oublieuse du torrent et des halliers qui palpitent derrière elle.

L’eau à Rethel est blanche comme le ciel, c’est un silence qui progresse et désormais à défaut de forêt, d’arbres à charrier, poussant vers l’ouest quelques brindilles qu’elle a glanées le long de la Promenade des Isles, elle ronge sa craie sans fin.

Au bord du Porcien elle envisage un moment de rallier l’acropole gothique de Laon. Mais le défi est trop grand et elle préfère glisser doucement vers Soissons et saluer au passage la coupole baroque d’Asfeld, souvenir en pleine brume d’une Italie de rêve.

Le passage d’un département à l’autre est spectaculaire. La terre, brutalement, vire au noir, les routes secondaires se défont de la boue blanche et retrouvent le bleu originel du goudron frais. En échange de son nom, l’Aisne reçoit du nouveau département des affluents à profusion. Très vite, elle devient parmi les rus, les filets d’eau et les ruisseaux inconnus la seule référence, celle pour qui tout le monde murmure, celle vers qui se tournent tous les cours d’eau. On aperçoit la cathédrale de Soissons et comme pour consoler la rivière de sa brève existence, une seconde façade lui fait des mines : Saint-Jean-des-Vignes, si atrocement veuve de nef si effrayante dans sa vacuité, devient alors une porte superbe, un pont gothique posé en l’air, dans les vignes qui surplombent la rivière. L’Aisne est enfin grande, large et riche, noire et tranquille.

Alors commence la vie douce à Soissons dans les feuilles et les bois frémissants. L’eau est évidence, l’existence coule pour tous au rythme normal du temps humain, loin des crimes et des gares qui enflamment les ciels de nuit, là-bas, vers le sud, Paris, terrifiante capitale toute en soubresauts. L’Aisne ne verra jamais la Seine. La province a cette sauvagerie : elle évite la gueule du loup, préfère la vie apaisée avec les femmes et les fleurs, à celle des gens qui croient savoir et babillent étourdiment sur les avenues haussmanniennes. Elle s’est résignée à devenir navigable, mais c’est qu’elle se moque désormais de ce qui peut lui advenir, elle prend son plaisir où il est, et voilà tout. Chaque instant, chaque méandre compte et jusqu’à Compiègne l’impériale tout est doux, tout est beau, lierre sur pierre, ciel bleu contre nuage blanc, et les noms enguirlandent la terre : Ambleny, Fontenoy, Sainte-Claire, La Treille, Choisy…

Enfin, il faut mourir. Annoncée par Rethel la sèche, la clairière de l’armistice à Rethondes est sa ponctuation finale. C’est ici que l’ennemi signa avant d’emporter le wagon de notre gloire qu’on ne revit jamais. Rethondes, pays des paraphes, signe la fin, c’est-à-dire la paix pour cette cicatrice béante qui vit tomber les jeunes gens par milliers. On a l’impression que les existences s’achèvent toujours dans le calme des confluents où les arbres frissonnent pour presque rien. Ainsi notre noire clairière, guettant le flot, pareille au passeur des Enfers, va guider doucement la rivière vers la nuit. Rethondes est la fin de notre histoire.

Notre destinée avait pourtant de quoi plaire avec ses maisons en pierre de taille, ses arbres immenses et ses plaines arrosées. Mais voilà, l’Aisne se jette à l’eau, à moins que ce ne soit l’Oise qui se jette dans l’Aisne tant notre rivière en cet instant est énorme, attentive aux regrets qu’elle fait naître chez les promeneurs égarés au confluent. Peut-être ne meurt-elle pas vraiment. Son nom seulement s’efface lentement dans le cours de l’autre ; mais à ce moment un nom ce n’est plus rien, seul importe l’eau, la vie prolongée jusqu’à la mer, source de toutes choses.

Laon ou la cité intérieure

Ce livre est une avancée poétique qui ouvre sur un monde de pensées et de rêves à partir de l’obsédante présence des traces de la
cité du moyen âge. Il y est question des bœufs, des vitraux, de l’ombre des remparts et pourtant ce n’est pas vraiment de l’histoire,
puisque je m’efforce de pénétrer dans le pays imaginaire qui court depuis l’intérieur du monde médiéval jusqu’à nos jours, rêveries où le
passé réfléchit notre temps, explorant nos existences en un miroir d’intimité qui nous renvoie constamment à notre fragilité contemporaine.

Le chapitre IV de Laon ou la cité intérieure a été publié en 1991 par la NRF N° 465.

Les loups (sont entrés dans Paris)

Cette chanson a plus de cinquante ans (1967). Son souvenir encore vif vaut la peine qu’on s’y attarde. Bien sûr c’est une figuration de l’invasion de la France en 1940, traumatisme majeur ; on oublie souvent que le baby boom se produit après la guerre la plus sanglante de l’histoire et que forcément, vingt ans après, l’inconscient des petits qui n’ont pas connu la guerre est hanté par les bombardements et l’occupation ; la chanson résonne alors jusqu’au tréfonds de ces enfants hallucinés par les récits tragiques de leurs parents, d’où le succès inaltérable et ambigu de ce tube enflammé. C’est l’effroi rétrospectif qui effectue son remuement radical.

L’auteur de la chanson, Albert Vidalie, est né en 1913 et la Germanie est directement évoquée. Cela dit, la géographie suggérée- les loups entrent par le sud de Paris – semble discutable. Mais Issy et Ivry sont faciles à retenir ; ces jumeaux restent en mémoire, ils affirment l’ « ici » de la figuration allégorique. C’est que dans une chanson tout est son.  On entend de même les loups hurler rien qu’à l’évocation de leur nom et Serge Reggiani en joue parfaitement. Il en va ainsi de l’Est qui envahit (« Krivoï », Croatie, Germanie) c’est l’hiver, le froid, la neige et on peut ressasser à loisir les envahissements successifs de notre pays : les Russes en 1815, les prussiens en 1870, puis la grande guerre, le nord de la France occupé par les Prussiens, puis l’occupation de 1940 ; toutes ces dates jouent leur jeu mémoriel.  Plus généralement, dans notre histoire française, l’invasion fait référence à l’arrivée des barbares par l’est et le nord, souvenirs qui s’égarent dans la suite des siècles passés (goths, vikings, nordmen).

La fable se termine par « l’amour et la fraternité » ; les loups : « ce mal qui répand la terreur », a-t-on envie de dire avec La Fontaine, ces loups de 1967 donc, ne sont rien d’autre qu’une plaie envoyée par une force supérieure pour punir les parisiens de leur individualisme égoïste(« Leur mère, leurs frangins, leur nana/ Pour eux c’était qu’du cinéma ») et pour faire pièce à la construction rapide d’immeubles grotesques (« Le béton bouffait l’paysage »). On entend la dépression de l’époque. Comme Vidalie est un proche d’Antoine Blondin (« Monsieur Jadis » évoque Albert Vidalie), on peut penser que l’auteur songeait à une mythologie anticommuniste (les Loups viennent de l’est et du froid). Mais les loups, finalement, sont facteurs de solidarité, leur invasion est bénéfique.

Elvire est une belle invention : elle est la rime à sourire ou à rire, donc le contraire des loups. Les loups terrifient et Elvire appelle la joie de vivre. C’est ça une chanson, ce sont des sons d’abord. De même Krivoï est une évocation par le son de toute la Russie (communiste bien sûr), le « mâle de Krivoï » étant presque une caricature du léniniste avec ses femmes, ses centaines d’enfants etc… folie du texte à images à partir de syllabes chantées (clichés aussi, mais parfaitement nécessaires dans le cadre d’une chanson). Vidalie mobilise sa culture et utilise toutes les ficelles pour faire marcher sa fiction glacée, poignante et (il faut bien le dire) follement paranoïaque.

Je me souviens qu’en 1967 on a senti une rupture de civilisation avec ruée sur les marchandises, multiplication des supermarchés, inondation de la publicité, poussée d’une jeunesse éberluée ;  Vidalie prétend  a posteriori qu’il avait « prévu » 68 dans cette chanson … c’est un propos d’homme de droite épouvanté par la révolte des jeunes. Gageons que ces jeunes loups ont provoqué en lui un effroi semblable à celui des loups de sa chanson écrite l’année précédente …

La musique enflamme tout par son rythme de marche irrésistible faisant de l’ensemble un petit chef d’œuvre qui racle dans la neige ; on imagine difficilement un autre chanteur que le dépressif Reggiani, formidable représentant du prophète de malheur de l’Ancien Testament avec sa voix au vibrato très appuyé, voile de crêpe pour temps de deuil.

Les loups sont le mythe récurrent de notre occident qui n’est devenu un territoire vivable qu’à partir du moment où les loups ont été chassés de nos villages. De très nombreux lieux évoquent dans leurs noms le souvenir des loups qui en effet durent terrifier les habitants de nos contrées. On peut imaginer que cette chanson si particulière doit également son succès à ce souvenir qui hante encore nos nuits (le Chaperon rouge) ; tout bien considéré, les enfants ne cesseront jamais de jouer au loup pour se faire peur.

Une chanson cela se chante puis s’envole dans l’oubli. La mode y fait son travail de deuil. Mais cette chanson-là, elle, demeure inoubliable, preuve que ces loups, s’ils ne sont pas vraiment entrés dans Paris, sont à jamais entrés dans notre mémoire.

Cette chanson, en 2018, redevient d’une actualité étonnante, mais ceci est une autre histoire.

Proust écrit (3)

quant à en savoir davantage sur cet homme sans opinion qui se targue d’être moi autant essayer d’arrêter la rivière, flot finalement sans rive, être tout compte fait sans nom réel sauf pour les autres il faut bien donner sa part aux lions du collectif mais là dans cet entre-deux au beau milieu et sans ponctuation, au temps de la détresse et dans l’intimité du moi je me laisse dissoudre je ne suis plus que toi et nous et Proust et Claude Simon et il faudra bien dire ce qu’il en est de notre présence en ce lieu, ce qui palpite palpite printemps deux mille dix-huit j’aimerais bien dire ce lieu, et bien sûr ce temps, mais c’est déjà moins intéressant, oui dire le lieu d’écrire au lieu de m’acharner sur moi sur cette chair de moi, le corps bien réel, c’est lui le lieu cependant, ce pendant qui semble bien moi et redit ma présence au milieu des ouailles du grand market, achète dit la violence amusicale qui nous entoure de cette vaste prose, de cette vaste prose éprise de soi, et de soi uniquement et je vais courant d’un étal à l’autre dès l’aube éperdu athée voici venir les temps des ciels d’ici-bas toujours brouillés, grande mélasse, voilà le lieu, voilà ce qui se passe derrière, le décor des vacations et tu voudrais que je sois moi mais je ne peux et que les choses soient claires mais je ne peux, j’entends bien la variété féroce du plus offrant par le meilleur vendeur ce Méphisto de luxe qui braille là devant sur les formes anciennes, voilà j’ai tout dit du temps, enfin je crois, je n’y reviendrai pas, c’est le lieu qui m’intrigue, le lieu, j’ai à peine commencé d’en parler, j’ai mis Proust écrit, il me fallait bien un appui, je n’allais quand même pas aller chercher le passé simple des récits paraphés paragraphés avec ce style bien connu des zola énervés par les fameux trop fameux problèmes dits de société qui oublient l’insistante présence affrontée à la pluie, à la dépression veux-je dire, du moi pour moi, problèmes qui délavent la crudité de la surexposition au temps d’ici et maintenant, qui eux n’ont rien à voir avec les hiérarchies d’antan et tendent leur mufle, ces temps, ce temps vers un avant sans fard sans avant, avec pour seul moteur ce que tu sais, i.e.rien, enfin si, trop de choses, l’amertume de celui qui ne sait répondre à la question du qui va là, car le moi je l’ai dit est au feu de la comète présente un souffle petit, certes insistant, mais si petit qu’il vole en étincelles dans un espace sans confins toutes directions, pépites folles, allons allons, je ne suis pas venu pour rassurer, et si j’écris Proust en bandoulière c’est pour oublier ma lenteur et la vive allure du plancher des vaches où je croyais être accroché si bien que je dirai sans cesse le pourquoi du comment du fleuve où j’essaie d’être, courant courant encore au ras du sol qui n’est que vague,