Kaska Bryla: Die Eistaucher

Plongeurs sous glace. Roman
Residenz Verlag, Vienne, 2022
320 pages, broché, EUR 24,-
ISBN 978 3 7017 17514

L'âme du monde repose au fond de l’eau sous la glace

Amour et trahison, destruction et culpabilité forment le cœur obscur de ce roman qui commence en apparence de manière anodine dans une école privée catholique viennoise et se termine vingt ans plus tard dans un camping isolé d’une réserve naturelle polonaise. Des collines, des forêts, des animaux sauvages et des tombes le long de la frontière, c’est là que Saša vit avec ses souvenirs, jusqu’à ce qu’apparaisse un mystérieux étranger, qui pose des questions et amorce le récit.

C’est sur le point de vue de Saša que s’ouvre le roman, conçu comme un compte à rebours : neuf chapitres, numérotés à l’envers, se rapprochent à travers le récit de souvenirs fragmentés de ce jour qui a bouleversé la vie d’un groupe d’amis adolescents. Un deuxième fil narratif déroule l’histoire dans l’autre sens, également en neuf chapitres, et présente les expériences des jeunes sous leurs différentes perspectives. Leurs voix se fondent en un flux de conscience collective dans lequel on peut parfois se perdre à la lecture, bien que chacun des protagonistes se distingue par une personnalité bien trempée.

Nous rencontrons d’abord Iga, la patineuse, en route vers sa nouvelle école, puis le beau Jess et le rondelet Raspoutine, surnommé Ras. Ils sont des outsiders dans leur classe, mais ensemble, ils forment un groupe soudés, les inséparables «plongeurs sous glace». C’est Ras qui avait proposé ce nom et Iga et Jess l’avaient accepté. «Plonger sous la glace. Faire remonter quelque chose de sous la glace», cela leur correspondait tout à fait. (p.303)

Lorsqu’une nuit, les amis sont témoins d’une violente agression policière et qu’ils sont soudain confrontés à un abîme qui les laisse sans voix et très en colère, ils décident de rendre justice eux-mêmes. «Personne n’a le droit d’obéir», explique Jess, «chacun d’entre nous porte sa part de responsabilité.»

Comme dans son premier roman Singe rouge, Kaska Bryla mêle sur fond de faits divers policiers passionnants des questions sociopolitiques ou morales et un plaidoyer enflammé pour la solidarité, l’amitié et l’amour. «Je crois que je ne pourrais pas penser autrement qu’en termes de contexte collectif», est une phrase souvent citée par l'auteure, qui aime situer ses romans dans son propre paysage quotidien. «L’homosexualité, le milieu queer, les personnages issus de groupes sociaux marginaux reflètent qui je suis, comment je vis, ce qui m’entoure. C’est ma normalité et la normalité de beaucoup de gens.»

Kaska Bryla, qui a grandi entre Vienne et Varsovie, aborde aussi très clairement l’importance de la migration et des différences de classe pour ses jeunes protagonistes. La question des relations humaines et des dépendances est omniprésente, ce que chacun a à perdre détermine clairement la marge de manœuvre des personnages. On aimerait que les enfants aient un jour une vie meilleure, mais on attend énormément de leur part. Le père de Ras dirait : «à l'épreuve des balles.» «Dans ce monde, tu dois être à l’épreuve des balles, comme un chien berger à la guerre. Sinon, tu seras éliminé.» (p.58)

Grâce à la multiplicité des points de vue et à la forte énergie des personnages, Les Plongeurs sous glace reste captivant et énigmatique jusqu'à la dernière page, un texte que l’on dévore avant d’en reprendre la lecture lentement depuis le début, tellement il recèle de découvertes.

Extrait de la critique de Sabine Schuster, 1^er mars 2022
Traduction française : Florence Hetzel

>> Incentives