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Wien: Sonderzah, 2015.
ISBN 978 3 85449 433 1.
Herbert J. Wimmer
Extrait
(Pas) un polar comme jeu de langage
Des morts dans le texte. Thriller – une irritation. Pour qui ne connaît pas cet auteur, tout est dans le titre: la dernière parution en prose d’Herbert Wimmer n’est pas, comme on pourrait s’y attendre, un roman policier. Mais une réflexion littéraire et expérimentale sur les motifs propres au thriller, un jeu de langage qui – tout en ouvrant le champ des possibles – se cristallise sur un moment essentiel: l’irritation. Le crime joue le rôle d’un hameçon qui entraîne le poisson-lecteur dans d’autres eaux qui vont déboucher sur l’océan de la langue.
L’acte de violence retracé dans le livre est basé sur un fait divers réel qui n’a jamais été élucidé: un double meurtre spectaculaire dans l’Autriche austro-fasciste. Dès le deuxième paragraphe, on peut lire en majuscules ostentatoires:
«UN FRÈRE ET UNE SŒUR COUCHÉS DANS L’HERBE. L’ÉVÊQUE ET L’ABBESSE SONT COUCHÉS, MORTS, DANS L’HERBE DU JARDIN DU MONASTÈRE. LE SANG EST NOIR COMME LA NUIT. LENTEMENT, LE JOUR SE LÈVE. LA NOVICE DORT DANS SA CELLULE.»
Pourtant, la partie qui précède ces lignes et qui constitue le début du livre s’ouvre sur un tout autre scénario.
Après le titre tout ira bien, on peut lire: «sois heureux, dit quelqu’un»; puis il est précisé qu’il n’est pas nécessaire de savoir si ce quelqu’un est un homme ou une femme ni si la voix est familière ou étrangère. Car «soudain, le bruit d’une Chevrolet Two-Ten Handyman Station Wagon de 1955 parfaitement restaurée [vient] recouvrir d’éventuelles répétitions.» À la table des matières, ces deux passages sont rassemblés dans le premier de 167 micro-chapitres construits sur le même schéma. Dans chacun d’eux, un paragraphe en majuscules fait suite à un autre en minuscules, le premier correspondant à la réflexion narrative, le second, semblable à de brèves indications scéniques, au récit du double meurtre et de ses suites.
Il serait facile de développer un roman policier classique à partir des passages relatant le meurtre, qui sont d’ailleurs racontés dans un ordre quasiment chronologique – mais les «réflexions» en minuscules qui viennent les interrompre emportent le lecteur à un tout autre niveau.
Il s’agit en somme d’un texte tout à la fois intelligent, stimulant et distrayant qui, sous couvert de divertissement, ramène à l’essentiel et ne cache pas à ses lecteurs qu’il en va toujours de notre existence, de notre temps de vie.
Extrait de la critique de Birgit Schwaner du 4 novembre 2015,
traduit par Nathalie Rouanet.
Texte original: http://www.literaturhaus.at/index.php?id=10822
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