Alban Nikolai Herbst / Alexander v. Ribbentrop

e   Marlboro. Prosastücke, Postskriptum Hannover 1981   Die Verwirrung des Gemüts. Roman, List München 1983    Die blutige Trauer des Buchhalters Michael Dolfinger. Lamento/Roman, Herodot Göttingen 1986; Ausgabe Zweiter Hand: Dielmann 2000   Die Orgelpfeifen von Flandern, Novelle, Dielmann Frankfurtmain 1993, dtv München 2001   Wolpertinger oder Das Blau. Roman, Dielmann Frankfurtmain 1993, dtv München 2000   Eine Sizilische Reise, Fantastischer Bericht, Diemann Frankfurtmain 1995, dtv München 1997   Der Arndt-Komplex. Novellen, Rowohlt Reinbek b. Hamburg 1997   Thetis. Anderswelt. Fantastischer Roman, Rowohlt Reinbek b. Hamburg 1998 (Erster Band der Anderswelt-Trilogie)   In New York. Manhattan Roman, Schöffling Frankfurtmain 2000   Buenos Aires. Anderswelt. Kybernetischer Roman, Berlin Verlag Berlin 2001 (Zweiter Band der Anderswelt-Trilogie)   Inzest oder Die Entstehung der Welt. Der Anfang eines Romanes in Briefen, zus. mit Barbara Bongartz, Schreibheft Essen 2002   Meere. Roman, Marebuch Hamburg 2003 (Bis Okt. 2017 verboten)   Die Illusion ist das Fleisch auf den Dingen. Poetische Features, Elfenbein Berlin 2004   Die Niedertracht der Musik. Dreizehn Erzählungen, tisch7 Köln 2005   Dem Nahsten Orient/Très Proche Orient. Liebesgedichte, deutsch und französisch, Dielmann Frankfurtmain 2007    Meere. Roman, Letzte Fassung. Gesamtabdruck bei Volltext, Wien 2007.

Meere. Roman, „Persische Fassung“, Dielmann Frankfurtmain 2007    Aeolia.Gesang. Gedichtzyklus, mit den Stromboli-Bildern von Harald R. Gratz. Limitierte Auflage ohne ISBN, Galerie Jesse Bielefeld 2008   Kybernetischer Realismus. Heidelberger Vorlesungen, Manutius Heidelberg 2008   Der Engel Ordnungen. Gedichte. Dielmann Frankfurtmain 2009   Selzers Singen. Phantastische Geschichten, Kulturmaschinen Berlin 2010   Azreds Buch. Geschichten und Fiktionen, Kulturmaschinen Berlin 2010   Das bleibende Thier. Bamberger Elegien, Elfenbein Verlag Berlin 2011   Die Fenster von Sainte Chapelle. Reiseerzählung, Kulturmaschinen Berlin 2011   Kleine Theorie des Literarischen Bloggens. ETKBooks Bern 2011   Schöne Literatur muß grausam sein. Aufsätze und Reden I, Kulturmaschinen Berlin 2012   Isabella Maria Vergana. Erzählung. Verlag Die Dschungel in der Kindle-Edition Berlin 2013   Der Gräfenberg-Club. Sonderausgabe. Literaturquickie Hamburg 2013   Argo.Anderswelt. Epischer Roman, Elfenbein Berlin 2013 (Dritter Band der Anderswelt-Trilogie)   James Joyce: Giacomo Joyce. Mit den Übertragungen von Helmut Schulze und Alban Nikolai Herbst, etkBooks Bern 2013    Alban Nikolai Herbst: Traumschiff. Roman. mare 2015.   Meere. Roman, Marebuch Hamburg 2003 (Seit Okt. 2017 wieder frei)
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PruniersRomanDeManhattan

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[Chapitres 51 (2ième partie) <<<< là.]

Bild-107-REVLONMantler joue crescendo : du fond de l’inaudible, long solo qui vient se nicher doucement à l’intérieur ; le silence fut tel qu’on entendit le passage d’une rame de métro dans le ciel, et des vibrations résonnèrent dans les accoudoirs ; les portes débordaient de gens, mais des reporters étaient parvenus à se glisser à l’intérieur et de temps en temps un flash crépitait dans la salle. On raconta plus tard que des unités de police auraient réussi à se frayer un chemin à force de coups, mais la foule avait stoppé leur avance et pour passer dans les couloirs bondés elles auraient dû abattre des gens. Mais les policiers n’avaient pas reçu d’instructions en ce sens, et même s’ils en avaient eu, personne ne les aurait suivies. De nombreux cops d’ailleurs refusèrent d’aller plus loin. Guiliani, prévenu en catastrophe, avait hurlé de rage, braillant ici et là dans tous les sens à downtown City Hall dans la governor’s room. Ah, quel dommage qu’il n’ait pas entendu le concert ! Et Martha ? Que faisait-elle pendant ce temps-là ? Elle était assise dans le showroom derrière le public et observait avec ennui le strip-tease d’une nouvelle, assez douée, en fait, la petite ; est-ce qu’elle savait aussi bien manier le revolver ? Pendant ce temps, Mr.Thimble accoudé dans un bar se donnait du courage pour plus tard à coups de manhattans; il ne pouvait pas imaginer que sa Lissy… d’autant que sa destinée allait recevoir le coup de grâce cette nuit même, mauvais, mauvais, qui a dit que la vie était juste ? sinon je n’aurais pas pu ronfler dans mon coin dans mon STAR HOTEL auquel on avait ôté le toit. J’avais du mal à dormir vraiment car le coffre-fort s’ouvrait et se fermait sans arrêt. Je voyais se déverser des flots ininterrompus à l’intérieur de mon sommeil et l’eau de nouveau dévalait les marches entre le deuxième étage et le premier et dégoulinait dans le couloir pour atteindre le rez-de-chaussée, cascadant toujours plus vite dans l’escalier et s’entassant contre les joints de la porte qui donnait sur la rue, l’eau coulait comme du sang, cette maison du numéro 300 de la 30th St. ouest. Sur ma table de chevet le réveil allait vers vingt-trois heures tandis que traversant Times Square dans la pluie qui tombait à verse des skaters inline filaientLION-S-King-frz-1

Dans ce chaos d’activités on bouffait et on buvait, on enfournait, affamé, aspirant stupidement à se divertir pour se prouver qu’on était libre, klaxons sirènes pompiers de rouge vêtus, sous la pluie le RAGTIME CHICAGO CATS et CATS et encore CATS, toits des parapluies graisse de frites BBQ et l’arche de Noé désespérément fixe, pendant que des Lincoln blanches, vitres teintées, blanc éblouissant scintillantes passaient, eau projetée, éclaboussures, Blendax riant, Sean Connery Entrapement tournaient au coin attendant patiemment The 13th Floor jusqu’à ce que les hordes de touristes soient passées, traversent la 45th St., ils voudraient aller en face au Marriott Marquis, là-haut, là où se trouve le restaurant tournant à 9,25 $ le Martini, sortir du Tourist Office contre le Duffy Square où sans payer on peut consulter ses e-mails et même ses hotmails et où on peut avoir des plans de la ville des plans du métro des adresses d’hôtels ; mais non c’était déjà fermé, ils se contentaient de se regrouper autour des théâtres ou ils sortaient du Théâtre Confetti, au-dessus de la 42nd St., des écrans PANASONIC projetaient des images ? neige de papiers débris de joie limousines arrondies, autrefois on avait encore des véhicules noirs à étages, huit couches d’oignons et de ketchup à volonté, et des girlies se ruaient hors de RIESE’s et criaient, tandis qu’ici ou là un homme se frayait encore un chemin vers le bas ; attiré par un bruit, le Mozart goes to town avait cessé de retentir depuis un moment, il descendait à travers une canalisation le long de l’échelle et pataugeait dans les égouts tandis que plus haut on klaxonnait, on criait, des sirènes hurlaient, de la pop retentissait dans les voitures, et dans New Carnegie Under Manhattan New York parmi les longs étirements des archets le fier violon de Delmoni se lançait : joue tsigane ! Et la mèche relevée la moustache fièrement dressée, lui non plus ne sait pas qui va lui conduire la main, pas de sueur pas d’angoisse. Sky le suit des yeux les lèvres entrouvertes, il aimerait tant le voir mieux ! Un œil ne suffit pas. Il le ferme, tend l’oreille. Contre le Noir à ses côtés une petite Asiatique s’est glissée, la tête sous sa main puissante chaude magnifique. Des femmes rêvent de mains semblables, elles y attachent lerus désirs, elles y pensent tout le temps, l’enfant se glisse simplement à l’intérieur du chant perdu de Pettersson qui sans être annoncé déclare : je n’arrêterai pas de jouer, de symphonie en symphonie porté à l’intérieur de ce concert sous la terre et par-delà le concert de la terre, des courbes mélodiques clusters coups frappés anticipés noués, on voudrait hurler se libérer en hurlant, frapper autour de soi, pas seulement les pauvres, pas seulement les exclus, même ceux qui n’ont jamais été exclus, eux aussi la vie les a piétinés, mais ils le remarquent seulement aujourd’hui, maintenant, ici, presque à cent mètres sous la 57th St., ou peut-être à cente cinquante ou cent quatre-vingt mètres, eux qui sont tout près de la scène ne comprennent pas vraiment comment ce flot irrésistible de notes s’écoule par les oreilles le diaphragme le sternum jusqu’à l’intérieur du corps, purifie, faisant vibrer les veines les artères les ganglions et tous les organes, si bien que la misère et les mauvais rêves qui en réalité sont la réalité, consentent enfin à céder et à s’extraire du corps. Les chaises sur la scène sont toutes occupées, Mantler et Bruce sont penchés en avant et ont ramené les genoux contre leur corps, à l’écoute, Bruce accompagnant de son murmure chanté la musique jouée. On pourra entendre plus tard dans le CD ce grognement chantonné, Neill en effet, malgré ce qui avait été décidé, avait fait enregistrer ce qui s’était passé Under Manhattan. Il ne s’intéressait pas vraiment au souffle qui s’en dégagerait, il voulait démontrer la puissance de sa vision : des centaines de milliers d’exemplaires de l’enregistrement furent ainsi vendus sous le manteau dans la semaine qui suivit. Le marketing considéra que ce concept n’existait pas officiellement. Et c’est ainsi que l’on vit combien Olsen avait raison : personne plus tard ne put comprendre ce qui s’était passé de si particulier cette nuit-là, à l’abri du jour, cette chose que personne n’avait prévue. Il s’agit sans doute d’une production de studio aseptisée à laquelle Mantler et Bruce furent convaincus de participer et qui trouva plus tard sa place dans le chaos de la World Music. Le CD fut qualifié de mystification par le New York Times et Village Voice parla de « tromperie sur la marchandise ». Le City Hall de son côté nia toute existence à Under Manhattan de même que pendant des années il avait nié l’existence des habitants du tunnel, quand dans le même temps il les faisait enfumer dans leurs souterrains : des containers avançaient dans un bruit métallique par le Lincoln Tunnel en direction du New Jersey pour déboucher sur le vide. La contre-attaque ne se fit pas attendre, et on opéra une razzia, les commandos descendirent jusqu’au sixième niveau, mais Neill négocia avec le plus hautes instances de la ville pour fixer une date et l’affaire fut ensuite très vite réglée : la recherche fut systématique et on arrêta tous les habitants du tunnel. Les cops arrêtèrent également Sky. Ce n’est pas dans les souterrains qu’ils le trouvèrent mais dans uptown à l’intérieur d’une des grottes dont le panorama découvrait ce gigantesque, ce merveilleux fleuve aux reflets d’argent, derrière le Parkway, le long de la ligne du train express, grottes taillées dans les rochers et qui servaient non seulement de refuge mais donnaient une lumière céleste, source inoubliable d’histoires.Bild-1-HudsonDepuis le concert, il ne s’était plus aventuré dans la rue. Il avait pris le tunnel et, avançant hors de la lumière du jour, il s’était réfugié ici, la musique résonnait constamment dans l’espace de son crâne, et il avait progressé à travers les égouts comme autrefois à l’époque de l’ALLIGATOR PATROL. Mais il n’y avait plus de crocodiles. Il aurait pourtant bien aimé discuter avec le vieux reptile qui s’était fait prendre par Benny Profane. Ce fut donc seulement en pensée qu’il s’entretint avec lui, le regard emporté par les petits bateaux qui semblaient vaciller jusqu’à se dissoudre dans l’air, comme s’ils flottaient au-dessus de la surface des eaux tendues à l’infini. À New York il faisait chaud maintenant. Certes, personne ne l’avait remarqué ; mais à l’instant où la dernière note du concert retentit, la pluie également cessa son clapotis, comme si la musique avait nettoyé le ciel, et l’on vit une lumière qui montait au-dessus de la ville célébrant le temps où les couples d’amoureux et eux seuls avaient pu se toucher tandis qu’ils avaient erré sans parler dans les rues malgré les injustices du ciel. Et quelques Indiens repoussés dans le sud du Bronx avaient levé le nez, flairant un événement car ils savaient, oui, il s’est passé quelque chose. Les maisons ont pris racine. Elles peuvent parler et elles échangent des mots entre elles. Idahoe S. Neill qui avait permis tout cela ne se rendit compte de rien. Et la petite Asiatique sous la paume du Noir s’était endormie. Personne, non, personne ne remarqua que le concert était fini : les archets continuaient à se tendre à l’intérieur des hommes. La salle était dilatée comme on le dit d’une cage thoracique, et Mantler Mason Bruce demeuraient assis, oui, assis. Le public restait assis. Les musiciens sortirent lentement de leur léthargie. Ce fut Arturo Delmoni qui le premier abaissa son violon, puis inclina la tête vers l’avant. S’il vous plaît – je vous en prie – surtout pas d’applaudissements ! Mais ça ne serait venu à l’idée de personne. Ce n’était pas Delmoni en personne qui avait joué, il le savait bien, il était trop orgueilleux pour ça, il ne voulait pas se parer des plumes du paon : jamais il n’aurait pu tenir l’archet de cette manière, seuls les dieux le tiennent ainsi et, quand ils le font, c’est que la tristesse les accable ; en vérité, les autres, les pouilleux avaient joué du violon à travers lui. Et le miracle fut que l’orchestre non plus ne savait pas jouer, en tout cas pas très bien en vérité cet orchestre « n’était pas très bon » et il avait malgré tout produit cette splendeur. Malgré tout, phalanges et bouts de doigts avaient chanté, les articulations et les bras avaient donné leur chant : leurs âmes étaient devenues des doigtés et des muscles, tout un système nerveux central. Comme ces gens sous hypnose qui subissent dit-on la force de l’hypnotiseur, la musique – et c’était cette fois une réalité et non une supputation – avait été engendrée par ces gens ; et il avait fallu si peu de choses pour que ce rêve se réalise : un an de répétitions à l’intérieur du délire visionnaire d’un fou touché par la grâce, des musiciens affamés parfois, la plupart du temps torturés par la soif, car aucun ne devrait se mettre à boire sinon les mains ne pouvaient plus faire résonner l’indispensable vibrato. À y regarder de près, aucun n’avait su pourquoi il le suivait, sans oublier les moqueries, la dérision, et à l’instant précis où la musique s’achevait, non, au moment où elle avait commencé – et c’était de nous qu’elle avait jailli ! elle résonna du plus profond de chacun de nous – nous comprîmes… non, nous ne comprîmes pas, nous eûmes l’intuition de tout ce qui à travers nous était ramené à la vie. Le plus étrange fut qu’au fur et à mesure de nos répétitions dans les condos sous la plate-forme 100, dans la grotte creusée sous Bryant Park et même juste derrière Spring Street/ Lafayette, les musiciens affluèrent toujours plus nombreux ; vous pouvez me croire, pour des gens comme nous, la seule acquisition des instruments était déjà problématique, sans parler de l’entretien qu’ils nécessitaient, ni de l’humidité qui les menaçait constamment. Nous les soignions comme des enfants, et lorsque nos compagnons, qui au début nous prirent pour des fous – moi-même, si je n’avais pas rencontré ce chef d’orchestre, j’aurais considéré comme fou quiconque aurait agi de cette manière – ainsi donc, lorsqu’ils nous entendirent, ils cessèrent de rire, et tentèrent de leur côté de dénicher un instrument quelconque. Ils se le prêtèrent entre eux. Ils se le volèrent. Vous vous souvenez certainement de cette série de casses. Comment ? Regretter ? Mais pourquoi devrais-je regretter cela ? C’est ridicule ! Vous n’étiez pas là, vous ne pouvez pas comprendre ce que les batteurs de Melrose comprirent d’emblée, oui, comment on parvint à se retirer en bon ordre, personne ne fut blessé, aucun panique nulle part, les pas s’éloignèrent sous la terre en silence lorsque New Carnegie se vida. Impossible de dire quoi que ce soit, le Noir retira sa main de la tête de la petite Asiatique qui sortait de son rêve : les pupilles écarquillées elle le regarda, jeta ensuite un regard vers Sky, se frotta les yeux pour sortir du sommeil, sourit, se leva, s’enfuit en courant. Où ? Qui peut le dire ? Sky la suivit des yeux, et comme il se tournait vers son voisin, il constata qu’il était déjà loin : il monta quelques marches sans se retourner. Gêné, Bruce toussa en contrebas, il était étrangement enroué, toussa une deuxième fois, ne cessa plus de se racler la gorge, tandis que Mantler parlait pour lui seul en soufflant dans sa trompette. Mason lui aussi frappa deux trois fois avec le balai sur les cymbales, le chuintement métallique se mêla au glissement de tramps des chuds des tunnel dwellers, qui repartaient vers leur désert, car ils avaient perdu quelque chose, et maintenant ils savaient : un vieux fou le leur avait restitué, et ils devraient le garder. Mais le vieux lui ne le garda pas et ce quelque chose ne s’accrocha pas à lui : dans le coma, pendant environ quarante mesures, il avait dirigé sa musique de loin ; la main droite – le pouce l’index et le majeur tenaient une baguette imaginaire – se balança au bout de son bras levé. Puis il s’affaissa. Et la musique fut terminée. Le souffle de la mélodie cessa en même temps que le sien. La pluie s’arrêta aussi. Dans la salle de concert les femmes des beaux quartiers se levèrent toutes ensemble, remirent en place leurs chignons, passèrent la main sur les poils des petits chiens et s’accrochèrent au bras de leur mari.
Quelle procession sous les rues ! Nombreux furent ceux qui sortirent à Grand Central Station, où depuis longtemps la police s’était retirée, ne laissant en place que cinq six officers, du moins d’après ce qu’on put voir : ces derniers secouèrent la tête pour témoigner de leur embarras lorsqu’un quart de la City sortit de terre, de la nuit, pour déboucher dans la lumière marmoréenne de Grand Central Station et s’enfoncer de nouveau dans la nuit. Dehors la lumière était telle qu’il fallait plisser les paupières. Mais qu’il faisait bon enfin respirer ! Les taxis avaient eu vent de l’histoire. Et l’on vit des files de voitures jaunes, on entendit des claquements de portières sans fin. On s’essuya le maquillage qui avait coulé sur les joues. Sky cligna des yeux. Comment était-ce possible ? Mais où sont-ils donc partis ? Et moi, comment suis-je venu jusqu’ici ? Un placier en uniforme se dressa de toute sa hauteur devant lui et lui jeta un regard sévère. « Vous devez partir. Vous n’avez pas remarqué que la musique est finie ? Il est interdit de dormir ici. » Sky se redressa péniblement. L’homme en livrée esquissa une moue courroucée lorsque l’odeur lui parvint aux narines. « Eh, vous aviez un billet, vous, au moins ? – Un ticket ? C’que je sais, moi ? – Allez, montrez-moi ! » Sky fit semblant de fouiller dans ses poches, passa la main sur la poche de son polo… incroyable ! : oui, il en avait un. Hébété, il fixa le morceau de papier, le placier vexé imita son geste, mais le clodo s’en allait déjà en boitant, afin que tout cela ne semblât pas trop louche, et l’homme cria dans sa direction : « Où est-ce que vous allez, bon sang ? C’est en bas que ça se passe pour sortir, si vous montez vous allez vous retrouver sur le toit. » Tout cela était totalement incompréhensible, et il était encore empli de musique. Il descendit les marches, traînant, boitant. La haute société était encore là et on se glissait dans les manteaux. Il cracha. Il parvint dans la 57th St., les lumières du soir de Central Park se déversaient le long de la 7th Avenue. Il était trop mouillé pour se réfugier dans les vastes étendues de verdure. Sky se traîna jusqu’à la partie de Broadway qui s’enfonçait déjà dans l’ombre, car il connaissait un abri sous Columbus Circle à partir duquel on pouvait gagner un tunnel tranquille qui n’était pas spécialement confortable mais qui était relativement correct. D’autant qu’à partir de là on pouvait emprunter les souterrains et les galeries qui conduisaient vers le nord. Et c’était vers le nord qu’il entendait aller.Bild-110-ans-Licht Le-Roman-de-Manhattan-FR-Titel





[>>>> Le fin.
>>>> en Allemand.
ANH, Le Roman de Manhattan, page de titre <<<<
Alban Nikolai Herbst, In New York, Manhattan Roman.]

Mr. Thimble venait justement de se saouler dans le bar qui faisait le coin de la 65th et de Colombus Ave.

[Chapitre 51 (3ième partie) <<<< là.]

Bild-111Et voici que Sky vint à sa rencontre, marchant péniblement les nerfs à vif vers la 54th, mais les deux hommes ne se reconnurent pas. Comme des lames de ciseaux leurs mondes s’étaient croisés puis séparés dans les dernières heures. Mr. Thimble s’arrêta lorsque la silhouette courbée et légèrement menaçante s’avança lentement dans Broadway. Ce sans-abri était peut-être agressif. On ne pouvait pas savoir avec ces gens-là. Mais le type ne leva pas le regard, Mr. Thimble poursuivit alors son chemin discrètement. Clarissa lui faisait peur mais il voulait tellement la revoir. Encore trois rues, deux… encore une… Dans l’ombre il distinguait les reflets du dais de toile, avec son gardien en uniforme, mais il ne vit pas les brutes qui à l’ouest se regroupaient et se consultaient pour savoir s’ils devaient s’en aller. On leur avait posé un lapin, ils n’avaient vu personne qui correspondît à la description que Talisker leur avait faite. Pourtant ce soir ils avaient rudement envie de se payer un type.
Talisker, de son côté, avait dormi et avait raté le rendez-vous en se rendormant après la sonnerie du réveil, puis il avait fini par émerger. La chambre était plongée dans la pénombre, on voyait au plafond les reflets de la 8 th Avenue et le clignotement des feux rouges. On entendait monter les bavardages de la racaille, ça criait ça braillait ça hurlait tout le long de la 30 St., puis ça s’éloigna, les cris s’estompèrent remplacés bientôt par le grondement des voitures. Talisker avait la tête en compote à force de rêver du coffre-fort et de sa musique obsédante, il tira une cigarette d’un paquet à demi froissé posé sur la table de nuit, l’allumette craqua, lança un éclair il tira une bouffée et il se redressa lentement laissant glisser ses jambes hors du lit. S’habilla, sortit le revolver de la table de nuit et ouvrit. L’eau avait cessé de couler, sur l’escalier qui menait à la sortie à travers quelques flaques ; le dessus des marches avait pris l’eau et semblait pourri. Il fallait toujours tirer de toutes ses forces pour fermer la porte : trois quatre cinq fois et ça raclait ferme. Crac. Crac. Allez, bon sang ! Clac. Est-ce qu’il avait la clef ?: frisson d’épouvante le long du dos. Oui, ici. Comme il se retournait il heurta un client qui mangeait, morceaux de frites mayonnaise entre les dents. La mayonnaise coula par terre, il jura, Talisker hésita à lui donner un direct dans l’estomac… non, il n’aurait pas eu le temps de filer, car de l’autre côté, au coin de MANHATTAN INN et de THE 8th AVE GOURMET MARKET, on voyait un cop qui s’ennuyait ferme avec son gobelet en polystyrène, le pied droit appuyé derrière lui contre la verticale du mur. C’est à cause de lui qu’on ne voyait pas la pute asiatique qui traînait toujours par là en mâchant du chewing-gum, dans l’attente de mâcher autre chose.Bild-115-BusinessTalisker eut de la chance, là-bas le M 10 arrivait, c’était la ligne qui courait sur tout l’ouest de Manhattan, partant de South End elle traversait Central Park pour remonter vers la puante Harlem River. Les bras levés il se précipita, fit arrêter le bus bleu pâle et monta. C’était l’affaire de trois quatre arrêts. Où est-ce qu’il avait fourré sa carte ? Il la glissa dans la fente près du chauffeur, il l’enfilait toujours du mauvais côté, et le chauffeur impatienté le suivit du regard. Un peu plus tard il descendit, tourna dans la 54th à l’instant où Mr. Thimble arrivait de l’autre côté et que les trois jeunes allaient déguerpir. « C’est celui-là », dit Talisker en guise de bonsoir, indiquant la direction d’un mouvement de menton et il ajouta come ils faisaient déjà demi-tour pour attaquer : « Tenez, prenez ça. » Stupéfait l’un d’eux regarda sa main rigole, saisit le pétard dont la crosse s’adaptait avec volupté à la paume de sa main. « Il est à vous », dit Talisker. Il se réjouissait par avance du spectacle. Les trois gars marchèrent droit sur Mr.Thimble. Celui-ci avait reconnu Talisker et il lui fit des signes. Il hésita en voyant arriver les brutes, ne sachant s’il valait mieux filer ou attendre. Talisker ne comprit pas ce qu’il lui disait, mais lut sur les lèvres de Mr. Thimble un « Mister… Mister… », souffle désolé. Les brutes dépassèrent le gardien posté devant la porte, il portait déjà son talkie-walkie à ses lèvres, mais il reçut un tel coup que l’appareil décrivit une courbe et s’écrasa à deux doigts de la porte d’un taxi qui venait de tourner dans la rue et s’arrêtait à l’instant devant le LEGZ DIAMOND’s, l’homme en uniforme s’affaissa par terre la respiration bloquée par le choc face à l’entrée de l’ascenseur qui menait à la boîte de strip-tease : un coup de poing l’avait frappé au plexus. Vue de loin la scène était divertissante mais les choses allèrent trop vite. Du taxi descendirent Clarissa et son fiancé, le mécène de Neill, ce joli héritier longiligne qui après le concert avait bercé la jeune femme de perspectives d’avenir avec pavillon et trois enfants sur Long Island, et la femme réaliste agitait déjà ses cuisses, comme le faisaient le bodyguards, dont on doit dire qu’il en sortirent pas de la voiture mais qu’ils sautèrent hors du véhicule. Il y eut un coup de feu, était-ce si important qu’il provienne de mes brutes ou des gorilles ? Toujours est-il que mes courageuses recrues eurent la peur de leur vie et qu’ils détalèrent, deux autres coups de feu, puis ils disparurent en passant au-dessus de Mr. Thimble qui s’effondrait sur les genoux. Le mécène de Neill avait fait demi-tour et était remonté dans le taxi, il rappela brutalement ses gardes du corps. Avant qu’on ait compris ce qui s’était passé, et malgré leur corpulence, les hommes s’étaient déjà enfoncés dans le taxi qui démarra aussitôt. Hurlement de moteur flaques éclaboussures klaxons une sirène au loin lumières clignotantes des feux orange imperturbables. Le silence fut tel que sous le dais de toile on n’entendit plus que les halètements de l’homme au sol qui essayait en vain de reprendre son souffle. Clarissa se tenait dans la lumière au bord du trottoir et, se prenant la tête dans les mains, elle regarda successivement Talisker, l’homme en uniforme puis Mr.Thimble qui encore agenouillé appuyait ses mains sur le côté gauche, il voulait dire quelque chose mais n’y parvenait pas, crachait simplement du sang, le liquide ne sortait pas à gros bouillons mais affluait toujours plus vite à l’intérieur de sa bouche. Le sang lui passait entre les doigts comme si, de l’intérieur de l’homme qui se vidait, avait coulé une huile chaude d’un noir profond. Il fallut une éternité pour que Mr.Thimble perde à la fois équilibre et conscience. La sirène s’éloigna dans la nuit. Clarissa ne bougea pas de la bordure du trottoir, elle n’accourut pas à l’aide de son mari ; se mit pourtant à le fixer, disant et répétant « Mickey », sur un ton dépourvu de reproche, mais sans manifester non plus aucune pitié. Mr. Thimble finit par basculer vers l’avant. Tombèrent successivement front bras poitrine. Le ventre s’aplatit. Le corps demeura étendu, curieusement replié. Clarissa ne fit pas un geste. Le gardien avait cessé ses halètements, à bout de souffle il s’était évanoui. Il fallait faire quelque chose, à un moment c’était sûr la police allait arriver, il y aurait bien un passant ou quelques clodos. Talisker franchit donc la distance qui le séparait de Mr.Thimble, frôlant Clarissa au passage. Du bout du pied il retourna le gros homme et il s’accroupit, pas la peine de s’agenouiller.Bild-114Il était clair que Mr. Thimble avait été touché à l’aine ; le coup avait peut-être traversé l’estomac, ou les reins, ou peut-être d’autres organes. Il n’y avait plus rien à faire. Talisker entreprit la fouille. Papiers d’identité cartes de crédit porte-monnaie quelques lettres menue monnaie. La poche intérieure droite était bourrée de dollars. Il empocha le tout. Encore un indice, sinon ? Talisker n’était pas encore assez blindé pour ce genre d’affaire mais il aurait dû en toute logique lui défoncer le visage : on reconnaissait toujours trop vite les morts. Il était évident qu’ils trouveraient une piste qui mènerait droit à Clarissa. En tout cas Clarissa ne pouvait plus travailler ici. Il fallait le lui faire comprendre. Dans le fond, Taliker s’en foutait royalement ; mais il ne tenait pas à ce que la soirée soit gâchée. Se détourna du cadavre que fixait toujours la femme, insensible, poupée d’exposition. « Allez, il faut se barrer d’ici , dit Talisker. – Je sais, dit-elle ». Il demanda : « Est-ce que tu sais où tu vas passer la nuit ? – J’ai une chambre 118 Morningside. » Il secoua la tête : « On va te rechercher. – Mais je n’ai rien fait… - Tu crois qu’il vont en tenir compte ? Tu n’es qu’une pute. – Mais ça n’a rien à voir ! – Pour commencer je t’embarque chez moi. » Elle haussa les épaules. Elle allait s’allonger, se déshabiller et se laisser prendre, elle voulait tout subir, accepter tout ce qui arriverait. Sans résister. Sans le moindre petit mouvement de défense. Elle se serait volontiers laissé cogner dessus. Peut-être qu’à ce moment-là elle aurait enfin senti quelque chose. Il la saisit par les épaules pour lui faire faire demi-tour, son bras la poussa dans le dos, il la fit avancer. Ils parvinrent bientôt dans la 8th Avenue plongée dans la nuit et hantée par des ombres : des clodos dans les entrées sur des cartons des manteaux des couvertures, des dealers de crack devant les Deli’s, quelques jeunes dansaient dans les rues des Latinos groupés autour des crachotements de leurs magnétos à cassettes renforcés de plastique et de fer-blanc. Les rues étaient encore humides. Talisker était certain d’une chose : aujourd’hui je peux faire ce que je veux. On va voir jusqu’oùBild-113 je pourrai mener cette affaire. Ce n’était pas ses limites qui importaient mais les miennes. Je n’avais encore jamais vécu un truc de ce genre. Et demain je lui donnerais l’argent de son mari et je l’enverrais se faire voir. Elle se débrouillerait bien toute seule.
Nous descendîmes ainsi la grande avenue jusqu’à Penn Station, aveuglés par moments par les voitures qui roulaient pleins phares ou par des éclats qui nous passaient devant les yeux, passages brutaux de l’ombre aux éclats de lumière : panneaux de néons déroulant, bleus verts rouges, autour de peep-shows flottait une odeur de frites glauque et grasse. « Tu veux manger quelque chose ? » Pas de réaction. Je lui fis traverser la rue, je notai que ma montre indiquait qu’il s’était écoulé presque vingt cinq minutes. Je voulais retarder le moment où je prendrais du plaisir avec elle et c’était assez excitant. Je la fis donc pénétrer dans le Moley Wee Pub, saluts irlandais complices : hochements de tête muets presque imperceptibles. Il n’y avait que des rednecks qui sirotaient leurs Smithwicks. Je me rendis compte qu’il m’aurait été très facile de changer de profession. Lissy était vraiment une beauté, il n’était peut-être pas indispensable de la garder uniquement pour mon usage personnel. On pourrait ainsi sans aucun doute survivre pendant quelque temps. Jusqu’à ce que je trouve mieux. Après elle pourrait prendre le large. Je commandai deux Martinis. L’irlandais : « Gin ou vodka ? » Moi : « Gin ou vodka ? » Elle : « Vodka » Moi : « Un gin une vodka. » Lorsqu’elle porta le verre à ses lèvres elle me regarda soudain avec une profonde intensité. C’était comme si on lui avait arraché un voile des yeux. Et du ton le plus neutre qui se puisse concevoir, elle m’avoua qu’elle avait toujours aimé Mickey. Le-Roman-de-Manhattan-FR-Titel





FIN.
Alban Nikolai Herbst, Le Roman de Manhattan, trudit par Raymond Prunier.


[>>>> en Allemand.
ANH, Le Roman de Manhattan, page de titre <<<<]
 



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